ZIGZAGS
So what ?
“ Répé, dis-moi donc, s’il te plaît, ce que c’est que l’Indépendance ? ”. Le 1er janvier 2010, une jeune Camerounaise à l’esprit vif argent et qui entretiendrait, rarissime, des rapports cordiaux avec l’auteur de ses jours, sera tout à fait fondée de lui poser cette grave question, au regard de l’état général des lieux sur le continent : catastrophique, et de la liesse débordante qui paradoxalement prévaudra au sud du Sahara. Car, strictement fidèles à nos moeurs modernes régies par la futilité, nous allons comme on dit par ici “ fêter ”, et plutôt à grande pompe que frugalement. Ce jour prochain de pauvre gloire publique va venir et faire du bruit. Inéluctablement. Pour célébrer très abondamment un long et éprouvant demi-siècle d’indépendance au compteur de l’Histoire. So what ? Alors quoi ?
Cette nymphette virtuelle et futée, appelons la Mélodie, n’aura en effet, jusqu’à cette profusion médiatique, que vaguement entendu parler de l’Indépendance. 2010, ce sera l’heure obligée du bilan africain à la face du monde. Entre le délire mugabéen et celui des rejetons de l’autocratie qui caracolent sans vergogne dans des automobiles customisées à deux millions d’euros en Whiteland, reproduisant ainsi sur un mode clinquant celui de leurs pères davantage férus de demeures somptueuses aux mêmes latitudes tempérées, ce sera bel et bien un procès sur faits et non d’intention, qui dira plus ou moins ouvertement son nom. L’Afrique sera dos au mur et sous les feux des projecteurs. Acculée à la vérité.
L’échec des pères
Mélodie et ses contemporains qui sont l’Afrique de demain y ont droit, à cette vérité dans le cadre de l’Histoire. Elle est pour l’instant occultée par plusieurs couches de dissimulations fonctionnant comme une chape épaisse et dure. Ou alors comme une croûte recouvrant une blessure négligée et sous laquelle se poursuivrait l’infection. Chape ou croûte, il nous faudra de toute façon passer en 2010 au travers de cette épaisseur scabreuse et insupportable de mutismes purulents. On n’a pas le choix désormais de fuir cette épreuve. Elle sera vraisemblablement douloureuse pour tout le monde, genre éventrement, une telle et nécessaire mise en lumière.
Cette formidable occultation au long cours de la vérité historique mobilise une énergie sociale considérable sous la forme de mensonges politiques entretenus avec un rare soin par toutes les composantes de l’establishment du Fiasco. Elle alimente ce faisant plein pot une dynamique entropique. Soit une dynamique de déperdition des forces vives si indispensables pourtant à la construction du futur. Si donc le père de notre virtuelle Mélodie est honnête et sincère, il reconnaîtra humblement l’échec lamentable de ses pairs. Et n’en sera que plus grandi aux yeux de sa fille. Contrairement à ceux qui s’obstinent à faire silence et bomber leur torse avec le sempiternel : “ Je suis ton père ! Ne me pose pas de questions !”
L’échec si violent et si patent des pères est cette ténébreuse trappe que la jeunesse africaine, désabusée et s’illusionnant complètement sur Whiteland, veut fuir par tous les moyens, quitte pour certains, les malchanceux, à trouver la mort sur cette route interlope et hasardeuse du chacun-pour-soi. Dans le désert brûlant par exemple. Ou noyés dans la Méditerranéepolluée. Fuir pour se heurter brutalement à l’exclusion dans un espace économique et social cuirassé par l’individualisme à outrance. Cet immense sacrifice humain est rendu à quelle idole, sur quel autel, et à quelle sinistre fin ? La conservation mordicus du pouvoir de faire la pluie et le beau temps dans des enclos nommés nations? Contre tout bon sens et jusqu’à l’absurdité ?
Mea culpa
De fait, rien ne peut s’édifier sur une telle base qui ne finirait tôt ou tard par s’écrouler sous le propre poids de cette monstrueuse pesanteur et de cette colossale inanité. Et surtout pas le développement durable. Il faut en effet d’autres fondations à cet horizon, d’autres murs de soutènement que la rivalité mimétique, la duplicité, l’hypocrisie, la veulerie, la vanité et l’incivilité qui affligent tant et tant le quotidien on ne peut plus odieux de notre société camerounaise pervertie par le lucre et la soumission à son influence décidément virale. Est-ce que les responsables objectifs du Fiasco sauront faire mea culpa et ouvrir enfin la voie à une authentique alternance? Le compte (ou alors le conte ?) à rebours vers cette échéance historique est d’ores et déjà sur les rails.
Mea culpa pour Patrice Lumumba, pour Sylvanus Olympio. Mea culpa pour Osende Afana, pour Kwamé Nkrumah. Mea culpa encore pour Felix Roland Moumié, pour Um Nyobé. Mea culpa pour tous les anonymes, hommes et femmes, par milliers, qui crurent à la promesse de l’indépendance et en moururent. De ce combat, de leur engagement pour un idéal, Mélodie et ses cops diplômés en “ fraîcheur ” ne savent bien entendu pas grand-chose, quand ce n’est carrément rien du tout. Parce que le silence écrasant des pères et des grands-pères pèse lourdement dessus. La lumineuse promesse de l’Indépendance parlait d’émancipation et de dignité. D’un magnifique rêve. Promesse tragiquement inachevée…
Il ne s’agissait pas simplement de hisser des drapeaux en satin flottant dans des cieux nuageux, au-dessus de populations appauvries par la doctrine économique libérale et vêtues d’oripeaux. La souveraineté tant proclamée et revendiquée des Etats africains au sud du Sahara n’a d’égale que l’insécurité dans laquelle marinent aujourd’hui des myriades de femmes, d’enfants et d’hommes de tous âges ne sachant plus à quel diable se vouer, et dépourvues de tout recours. La forfaiture de certaine élite ronflante est désormais consommée aussi, qui n’a pas tenu son rôle historique et s’est inféodée aux cliques qui enserrent l’Afrique dans les anneaux de leurs intérêts commerciaux et financiers.
Des questions absolument décisives et en mal de réponses claires, limpides, piaffent d’impatience dans les coulisses de l’Indépendance. Tout comme la pas si virtuelle Mélodie et ses cops trépignent actuellement dans leur pétulante jeunesse que les fossiles de service persistent à vouloir brider. Ils ne se tiendront pas toujours placides dans la peur et le manque.